VIRGINIE EN LAPONIE

Un départ précipité

Il était 6h45 lorsque le bus me déposa devant la gare Cornavin. Je me précipitai à l’intérieur et avant de me rendre sur le quai no 4 où devait m’attendre mon collègue Marc. Je fis un arrêt rapide pour acheter deux croissants et deux petites bouteilles de jus d’orange. J’avais hésité à prendre avec moi un thermos de café, puis je m’étais résignée à renoncer en me disant que je ne voulais pas passer pour une pingre. Il devait certainement y avoir un service à bord du train ou un wagon-restaurant. Le trajet allait être suffisamment long jusqu’à Strasbourg, avec deux changements de train à faire pour arriver à destination. 

Le train venait d’arriver en gare et je ne voyais toujours pas mon collègue. J’eus un moment de panique, lorsque tout à coup, j’entendis derrière moi une voix essoufflée me dire : 

– Virginie, je suis là ! Bonjour ! Désolé pour le retard, un petit souci de dernière minute à régler puis je me suis retrouvé dans les bouchons. J’ai bien cru que j’allais rater le train ! Venez, montons à bord, j’ai nos deux billets. 

Je répondis en souriant à son salut et l’observais avec amusement lorsque je le vis presque bondir sur mon sac de voyage, me tirer amicalement par le bras pour m’inviter à le suivre et monter dans le wagon. Il avait l’air encore plus sympathique que la veille en tenue “civile”  sans son costume deux-pièces et ses chaussures de ville bien cirées. Il portait un pantalon en velours côtelé à la mode, c’est-à-dire à pattes d’éléphants, qui était assorti à un veston cintré, ainsi qu’une superbe chemise à motifs colorés et à col pelle à tarte. Une casquette gavroche était vissée sur sa tête, il avait des bottines à talon et la pipe à la bouche. 

Virginie et l’art de se mettre dans de mauvaises situations

J’avais pris place sur la banquette et l’observais pendant qu’il rangeait nos bagages dans le porte-bagage au-dessus de nos têtes. Marc ressemblait, ainsi habillé et mal rasé, au chanteur Renaud que j’appréciais énormément. Il avait la même voix railleuse et douce à la fois. Il était de quinze ans mon aîné, marié, deux enfants. Dommage pour moi, car il me plaisait beaucoup.

Le train s’ébranla ; notre voyage commença. Marc s’assit enfin après avoir vérifié son sac de voyage, sortit sa petite sacoche qui contenait tous ses trésors tant elle était pleine et éteint sa pipe. Nous étions dans un wagon fumeur et je lui en ai fait la remarque. Il répondit qu’il le savait puisque c’était lui qui avait réservé, mais pour l’instant, il souhaitait plutôt boire quelque chose, car sa course du matin lui avait desséché la gorge. Je ris de bon cœur à sa remarque, en lui demandant si ce n’était pas plutôt sa pipe qui était en cause. Il me sourit, et son sourire me laissa toute retournée. Ces trois jours allaient me coûter cher en émotions parce que je craignais de tomber amoureuse de mon boss. “Virginie et l’art de se mettre dans des situations impossibles”. C’est tout moi ! 

En préparant mon sac et choisissant mes tenues, je m’étais interrogée sur mon choix plutôt chic et sage qui ne correspondait pas beaucoup à mon extravagance habituelle. J’avais revêtu une combinaison pantalon rayée noir et blanc, avec un chemisier noire satiné. J’ai pris ma cape en laine couleur Camel et le chapeau cloche assorti. J’ai troqué mes bottines rouges cirées contre de longues bottes brunes. Bottes qui iront parfaitement bien avec ma mini-jupe plissée et ma robe chasuble écossaise. J’ai ajouté un deuxième chemisier ainsi qu’un col roulé blanc dans mon sac. 

Opération séduction

Une fois assise face à Marc, je réalisai enfin pourquoi j’ai ressenti l’envie de paraître séduisante. L’excuse de vouloir donner bonne impression aux hôteliers me fait gentiment sourire. Le pire, c’est que Marc, une fois le nez sorti de son carnet de notes, me dévisagea, comme s’il me remarquait à l’instant, me sourit et me dit : 

– Vous êtes très en beauté Virginie aujourd’hui ! Restez avec ce beau sourire et cet enthousiasme et vous aurez accompli cinquante pour cent du travail de séduction des hôteliers. Car il va bien falloir les séduire pour obtenir les commissions que l’agence espère toucher. La tâche va être rude, mais nous allons y arriver ma chère ! Je sens que nous allons faire un superbe duo tous les deux !

Je me sentis rougir à cette déclaration et pour dissiper le trouble qu’il me procurait, je sortis de mon sac le sachet contenant les croissants et les bouteilles de jus d’orange. Il me remercia chaleureusement et nous dégustions nos viennoiseries en regardant le superbe paysage lacustre défiler sous nos yeux. J’adorais voir les rives du Léman à travers les vitres du train. Par n’importe quelle saison, ce tableau était idyllique. C’était le moment parfait que choisit le préposé au bar pour pénétrer dans le wagon avec son petit chariot pour vendre des boissons et snacks divers. Marc nous offrit deux cafés bien chauds et une branche de chocolat Cailler pour accompagner notre boisson et ce qu’il nous restait de notre croissant. 

Programme du jour

Il m’informa ensuite que nous descendrions à Lausanne pour changer de train, puis à Bâle où nous nous arrêterions plus longtemps pour dîner avant de repartir pour notre destination finale. Il m’expliqua que nous irions tout de suite prendre nos chambres à l’hôtel puis nous entamerions notre tournée des hôteliers que nous devions convaincre de faire affaire avec nous. Pour la soirée, il avait prévu un souper dans une brasserie typique où nous allions déguster la fameuse choucroute garnie. Il ne me donna pas encore les détails du lendemain, car il m’expliqua que nous devrions composer en fonction de nos succès d’aujourd’hui. 

Je me sentais tellement bien, assise en face de lui à écouter notre programme en regardant défiler ces paysages qui m’étaient si chers. J’aurais pu embrasser le contrôleur lorsqu’il est venu à nous pour nous réclamer en français “fédéral”, c’est-à-dire avec un superbe accent suisse allemand, nos billets. Je me sentais si joyeuse que j’aurais pu d’ailleurs embrasser chaque nouvel arrivant dans le wagon. 

Très vite, trop vite, nous sommes arrivés à Lausanne. Marc me signifia de ne pas tarder, car notre correspondance partait huit minutes après notre arrivée en gare. Il me fit un clin d’œil en vérifiant la hauteur de mes talons et me dit d’un air taquin : 

– Au besoin, Virginie, cramponnez-vous à moi, mais par pitié, ne tombez pas parce qu’il serait dommage que notre voyage se termine ici.

Pour la deuxième fois de la journée, je me suis sentie rougir. Je compris, qu’évidemment mon cher Patron lui avait probablement tout raconté de ma maladresse et mon humour décalé. Je pris le parti d’en rire et Marc rit avec moi de bon cœur. 

Travail, crêpes et choucroute ! 

Nous avons pu attraper notre correspondance sans souci, sans que je ne tombe ou ne casse quelque chose. Le trajet jusqu’à Bâle s’est déroulé studieusement, car Marc avait sorti tous les contrats que nous devions faire changer, ainsi que les propositions pour nos nouveaux partenaires. Il me demanda mon avis pour chacun d’entre eux et à l’aide d’une carte de la ville, nous avons élaboré notre parcours et programme de visites.

Notre pause repas à Bâle fut joyeuse et festive, car nous avions choisi de manger des crêpes pour ne pas trop charger nos estomacs en prévision de la choucroute qui nous attendait le soir.

Nous arrivâmes à Strasbourg au milieu de l’après-midi et nous avons eu le temps de rendre visite à quatre hôteliers et de signer deux nouveaux contrats. 

La choucroute fût copieuse et parfaite. Le Gewurztraminer que nous avons dégusté avec le fromage et le dessert était un baume pour nos palais et un feu d’artifice à cette belle, mais épuisante première journée. J’avais déjà hâte d’être au lendemain. Je n’arrivais pas à déterminer si c’était la joie de découvrir la ville, de montrer à Marc mes capacités de négociatrice hors pair ou tout simplement l’envie de le voir lui. 

Dans tous les cas, je m’endormis en remerciant ma bonne marraine, cette farceuse, qui m’avait dotée de ma maladresse et de mon art de mettre les pieds dans le plat. Sans quoi, je ne me serais jamais retrouvée à faire ce travail. Raté Monsieur Martin… ma punition est en fait une véritable récompense ! 

 À demain, pour la suite des aventures de Virginie en Laponie

Stéphanie

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