VIRGINIE EN LAPONIE
Des anges dans la neige
Je regardais tomber la neige par la fenêtre de ma chambre. Il avait commencé à neiger la veille au soir et cela n’avait cessé depuis. On ne voyait plus du tout les traces que nous avions laissées devant la maison. D’ailleurs, il était impossible de faire la différence entre la rue, le trottoir et le petit bout de jardin de la famille. La neige avait fait son apparition alors que nous sortions tout juste du sauna.
Ce dernier, entièrement fabriqué par Sven, se trouvait dans un petit cabanon au fond du jardin. À côté de la porte du sauna, ils avaient récupéré un gros tonneau dans lequel ils y ont mis une cuve. Entre la cuve et le tonneau, il y avait un petit système de chauffage. Il fallait remplir la cuve de neige et enclencher le chauffage pour la faire fondre. Puis, on éteignait le chauffage et on pouvait se plonger dans une eau bien froide en sortant du sauna. Ou alors, on laissait chauffer plus longtemps et on obtenait un bain chaud à l’extérieur.
Inkari et moi étions en train de faire les “anges” dans la neige, lorsque les premiers flocons sont tombés. Nous sommes restées longtemps à regarder tomber ces énormes cristaux de neige. Nous étions comme des enfants, à tenter de les attraper avec la langue. Je ne m’étais même pas rendu compte que j’étais couchée dans la neige depuis plus de deux minutes, ne portant que mon petit bikini de plage. J’avais la peau rouge comme une écrevisse. Il a fallu que je prenne une douche brûlante pour que mon corps retrouve une température normale. Nous avons ensuite décoré le sapin en chantant des chants de Noël. Ce fût une belle soirée.
Un appel de Mikko
J’étais plongée dans mes rêveries lorsque Inkari frappa à ma porte. Elle m’annonça que j’avais Mikko au téléphone.
J’attrapai mon peignoir et gagnai le rez-de-chaussée pour prendre l’appel.
– Allo Mikko ?
– Virginie ! Ça me fait plaisir de t’entendre. Comment vas-tu ?
– Parfaitement bien. Et toi ? ça va ? As-tu des nouvelles d’Hervé ?
– Oui, il m’a appelé pour me demander de lui envoyer les premiers contrats. Il m’a dit aussi que votre chef était super content de votre travail. Il se réjouit de découvrir vos photos et films.
– Oh ! Parfait ! Dis-moi, Mikko, vas-tu venir pour Noël finalement ?
– Malheureusement non, ma chère. C’est aussi pour cela que je t’appelle. J’ai des visiteurs surprises, je ne pourrai donc pas les abandonner. Mais ils repartent le 26 au matin. Du coup, j’ai pensé à te réserver un vol dans la matinée du 26, comme cela je te récupère à l’aéroport et tu es mon invitée pour les dernières vingt-quatre heures que tu passeras en Finlande ! Ça te va?
– Magnifique ! C’est un super programme. Je n’ai pas envie de te dire qu’il me tarde d’être au 26, car cela signifiera que le voyage touche à sa fin. Et puis j’ai encore des tas de choses à voir et découvrir ici, je ne suis donc pas pressée de rentrer ! Merci beaucoup pour ton invitation, comme je n’aimerais pas te déranger, peut-être que tu pourrais me choisir une chambre dans l’un des hôtels que nous avons visités ?
– Tu ne me déranges pas, sinon je ne te l’aurai pas proposé. Mais si tu préfères l’hôtel alors…
– Non ! non, c’est parfait. J’accepte ton invitation avec plaisir !
– Bon ! Je suis ravi. Je vais te laisser. À bientôt et Joyeux Noël. Transmets mes vœux à Sven et sa fille, veux-tu ?
– Oui, je n’y manquerai pas. Joyeux Noël à toi aussi Mikko.
Un plaisant taxi pour la ferme des rennes
Je raccrochai le combiné et restai un instant figée, songeuse, tentant d’analyser cette conversation. Je ne savais pas vraiment comment interpréter cette invitation. Si Hervé avait été là, cela aurait été plus simple, mais comme j’étais seule, qu’il est un garçon et moi une fille, qui plus est, un beau garçon… Bref, je n’allais pas anticiper ou me faire des idées. J’étais prête à accepter toutes les belles surprises de ce voyage. Toutes sans exception !
Sven pénétra dans la pièce et comme je rêvassai encore, il me fit sursauter. Il m’annonça qu’il avait téléphoné à la ferme des rennes et qu’ils étaient d’accord de m’offrir l’hospitalité pour une nuit. Ils auraient du plaisir à me faire découvrir leur mode de vie. Il me demanda si cela me convenait toujours et j’acquiesçai avec joie. Il m’informa que Inkari était allée demander au voisin s’il pouvait m’y conduire en motoneige. J’étais enchantée à la perspective de cette nouvelle et probablement dernière aventure de Noël.
Le voyage en motoneige fut tout simplement magique. Avec toute cette neige fraichement tombée, le décor avait encore changé. Le voisin me déposa devant la barrière de la ferme.
Il y avait une clochette accrochée à la boîte aux lettres. Je la fis tinter et j’attendis sagement que l’on vienne me chercher.
Une vieille dame accueillante
Au bout de quelques minutes, alors que j’allais à nouveau faire tinter la clochette, la porte de la maison s’ouvrit. Une vieille femme en sortit.
Elle avait de bonnes joues toutes roses et sans rides. Elle arborait un large sourire, découvrant de toutes petites dents étonnamment blanches pour une personne âgée.
Ses rides étaient concentrées sur son front et autour de ses yeux; de jolis petits yeux rieurs, couleurs de la Baltique par beau temps.
Ses cheveux tout blancs étaient fins comme des fils de soie et elle les portait en un gros chignon tressé sur le sommet de sa tête. Vu la taille de son chignon, je me demandai si elle avait déjà coupé ses cheveux une seule fois dans sa vie. Détail curieux, elle avait des étoiles de neige en cristal en guise d’épingle à cheveux.
Je me suis demandée si je n’avais pas la Reine des Neiges devant moi. Elle portait une robe traditionnelle finlandaise, verte avec des broderies blanches et rouges. À ses pieds de grosses bottes de fourrure et sur ses épaules un grand châle de laine.
J’avais immédiatement apprécié ce visage jovial et plein de douceur. Elle s’était adressée à moi dans un français impeccable avec un accent étrange que je n’aurais su identifier. Elle m’ôta des mains mon bagage, me prit par le bras et m’emmena à l’intérieur. La vieille dame me fit visiter toute la maison, puis les étables avec les rennes, l’atelier attenant à l’étable avec la forge, les outils, la grosse machine à coudre le cuir, et les outils de jardinage, qui en cette saison ne devaient pas être très utiles !
Visite de la ferme
J’ai tout aimé de cette vieille bâtisse et de son habitante. Elle s’appelait Kaïsa ce qui signifie, parait-il, “reine ou princesse”. J’avais probablement raison en imaginant qu’elle était la Reine des Neiges. Mais dans mon souvenir d’enfance, la Reine des Neiges du conte d’Andersen n’était pas très gentille, même pas gentille du tout. Alors ça ne collait pas vraiment avec Kaïsa. La maison était chaleureuse, tout en bois, avec une grosse cheminée de pierre où crépitait un bon feu. Deux fauteuils à bascule se trouvaient devant le feu. La décoration de l’intérieur avait l’air d’être assortie à la tenue de mon hôte, à moins que ce ne soit elle qui choisissait ses tenues en fonction de son intérieur. Bref, il y avait ici une harmonie certaine.

Ma chambre était toute aussi douillette que celle que l’on m’avait donnée chez Sven et Inkari. Elle était cependant plus grande, mais moins claire car il n’y avait qu’une seule grosse lucarne. Ici, je ne pouvais par admirer le paysage depuis mon lit, par contre, la lucarne était ronde et avait un rebord bien large. De gros coussins étaient disposés sur le rebord. On pouvait ainsi s’y lover pour admirer le paysage ou juste regarder tomber la neige. Il ne neigeait plus pour l’instant, mais il neigera peut-être encore si j’en croyais ce que me racontait Kaïsa.
Confection de biscuits de Noël
Elle m’invita à manger avec elle son repas de midi. Il y avait une grosse casserole sur le feu dans laquelle mijotaient des feuilles de choux farcies dans une sorte de bouillon qui sentait la cannelle et le poivre. Le repas fut délicieux et se termina par une énorme tarte aux myrtilles qu’elle me couvrit de crème fouettée qu’elle parsema encore de copeaux de chocolat. Je lui demandai si elle vivait seule ici. Elle m’apprit qu’elle avait un fils, mais qu’il vivait pour l’instant à Santa Fe aux États-Unis. Quant à son mari, qui se prénommait Ilmari, qui signifie “esprit”, il rentrerait en fin de journée.
Après le repas, Kaïsa m’a proposé une balade en traineau, tiré par deux rennes. Elle me montra comment harnacher les rennes et les atteler au traineau. La balade fut très agréable. J’étais toujours en admiration devant ces paysages enneigés et vierges de toute présence humaine. À notre retour, la vieille dame me proposa de l’aider à confectionner quelques biscuits. Une fois notre tâche terminée, nous avons pris le thé et goûté un biscuit encore brûlant. Dans cette ambiance feutrée et chaleureuse, avec Kaïsa qui somnolait à moitié dans son fauteuil, je me souvins m’être fait la réflexion que je devais être dans la maison du Père Noël et que j’avais pris le thé avec la mère Noël. Oui, c’était exactement cela. Kaïsa me faisait penser aux illustrations de livre pour enfant.
Tout savoir sur la vie des rennes
Je m’assoupis aussi et c’est un coup de vent qui fit claquer la porte qui nous réveilla en sursaut Kaïssa et moi. J’entendis une voix bourrue et grave.
– Oh, oh, il y a quelqu’un ? Où es-tu, ma chère bonne femme ?
– Je suis ici Ilmari, avec Virginie, notre invitée. Viens que je te présente.
– Bonjour Monsieur, lui dis-je poliment. Je m’appelle Virginie et je viens de Suisse pour découvrir votre beau pays. Merci de m’accueillir.
– Mmmrf. Oui, bonjour. Ravi de vous connaitre. Excusez-moi, je vais aller me changer. À plus tard.
Il disparut, laissant flotter dans l’air une odeur de fumée, de cannelle et de marshmallow ! Étrange vieux monsieur ! Ces cheveux étaient aussi blancs que ceux de son épouse. Il arborait une grosse barbe blanche. La ressemblance avec le Père Noël s’arrêtait là, car il n’avait pas l’air très commode. On était loin de la figure joviale que l’on prête habituellement au Père Noël. Pendant que Kaïsa préparait le repas du soir, elle m’incita à rejoindre son époux dans la grange. Il était l’heure de rentrer les rennes pour la nuit et de les nourrir.
Lorsque je rejoignis Ilmari, il était en train de brosser un renne. Je lui posai plein de questions auxquelles il répondit sans se montrer toutefois très loquace. Il me parla de la hiérarchie d’un troupeau de renne. De la manière dont il fallait s’en occuper, leur parler avec affection et les respecter. C’était très intéressant.
Mademoiselle-la-Curieuse !
Alors que nous rentrions les rennes dans l’étable, j’entendis tout à coup un bruit étrange qui provenait d’un petit cabanon qui se trouvait un peu plus loin de la grange, juste à l’orée de la forêt.
J’aperçus une dizaine de rennes qui étaient dans un enclos autour de la cabane. Je demandai pourquoi ces rennes n’étaient pas avec les autres et s’ils allaient passer la nuit dehors. Ilmari me répondit que j’étais bien curieuse et posait trop de questions. Je souris à sa remarque car Franco, le mari de Maria, notre chère voisine, me disait souvent cela.
Toutefois, Ilmari m’apprit que ces rennes n’étaient pas les siens et qu’il s’en occupait lorsque leur propriétaire était absent. Il me dit qu’il ne fallait pas que je me fasse du souci pour eux. C’étaient des rennes qui avaient l’habitude de voyager et de rester dans le froid des nuits polaires. Je lui demandai si je pouvais aller les voir de plus près et il refusa.
– Non, mademoiselle la curieuse. Tu ne peux pas aller là-bas ! Foi d’Ilmari cet endroit n’est pas pour toi. Oublie-le et oublie ces rennes !
Nous avons mangé une délicieuse soupe de potimarron très sucrée. On aurait presque dit un dessert tant elle était douce. Puis j’ai pris congé de mes hôtes, pensant qu’ils aimeraient être un peu seuls et montai dans ma chambre. J’avais l’intention de lire un peu, mais je me suis endormie.
À demain, pour la suite des aventures de Virginie en Laponie
Stéphanie
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