VIRGINIE EN LAPONIE

L’entretien de la dernière chance !

– Dites-moi, ma petite Virginie, savez-vous pourquoi je vous ai convoquée ?

Je fixais mon patron avec de grands yeux interrogatifs, le cœur battant, la bouche sèche, mes doigts de pieds se rétractant dans mes jolies bottines rouges toute neuves, ne sachant que répondre. À travers les épais verres de mes lunettes à motif léopard, une vague buée s’installa. Ce microphénomène thermique était probablement dû à mon rougissement intempestif provoqué par le malaise que je ressentis à ce moment-là. Je laissais le silence s’installer et je respirais difficilement, la bouche légèrement entrouverte telle une carpe que l’on vient de sortir de l’étang ! 

– Heu, non, Monsieur Martin, je n’en ai aucune idée, finis-je par bredouiller stupidement.

– Eh bien, ma chère, voilà six mois que vous êtes parmi nous. Je pense qu’il est temps que nous fassions le bilan de vos débuts. Avez-vous quelque chose à dire avant que je ne commence ?

– Non Monsieur. Enfin, si… je suis très contente d’être là et j’espère que vous aussi. Heu, non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Bref, je voulais dire que j’espère que vous êtes content de m’avoir, enfin que je sois là, heu… de mon travail surtout… je…

Virginie et le patron de l’Apocalypse

Les joues en feu, je ne trouvais plus mes mots et plus je tentais de m’exprimer intelligemment, plus je m’enfonçais dans un monologue stupide et insensé ! Francis Martin, mon patron, m’intimidait. Pourtant, il n’avait rien de féroce dans son apparence. Francis était grand, mince pour ne pas dire maigre. Il portait un bouc ridicule sur la pointe de son menton, des petites lunettes rondes cerclées de métal, plantées à la base de son nez légèrement crochu, et malgré son jeune âge, il avait déjà un début de calvitie. Il approchait de la trentaine tout au plus. C’était probablement son air arrogant qui me mettait mal à l’aise, ainsi que son attitude vraiment machiste et outrageusement paternaliste. Il n’était pas spécialement séduisant, ni même attrayant, mais il était tellement sûr de lui et se croyait irrésistible que ça en devenait pathétique!

Promotion canapé

Joséphine, ma collègue, m’avait mise en garde. Elle m’avait dit que j’avais intérêt à être bonne dans mon travail et irréprochable si je ne voulais pas avoir d’ennui avec lui. Il pratiquait sans vergogne la promotion canapé ou il usait de sa position pour obtenir les faveurs des employées féminines qui commettaient des erreurs. En résumé ; soit tu accomplis ton travail à la perfection et il n’intervient pas, soit il te fait du chantage pour garder ton poste ! Les paroles de ma collègue tournaient en boucle dans ma tête et je me torturais l’esprit pour deviner à quelle sauce il allait me manger. Alors que j’étais perdue dans mes suppositions grotesques, je l’entendis reprendre son discours : 
–  Bon, puisque vous n’avez rien d’intelligent à m’apprendre, je vais commencer. Il marqua un silence bien prononcé tout en me regardant sournoisement à travers ses petites lunettes. Il souriait d’un air presque machiavélique qui provoqua en moi un léger tremblement que j’eus du mal à camoufler.

– Ne tremblez pas comme ça Virginie, je n’ai encore jamais mangé personne ! Bon, je constate au moins que vous êtes assez lucide sur la situation, même si vous n’êtes pas capable de me dire que vous êtes une sacrée gourde ! 

Les talons de la malchance

Abasourdie par ses paroles tranchantes et méchantes, je restai une fois de plus sans voix et il reprit aussi vite son discours : 

– Vous avez débuté au secrétariat pour vous familiariser un peu avec la maison. Françoise vous a trouvée très sympathique, assez méthodique, plutôt rapide, serviable et souriante.  Elle vous a rapidement fait confiance. Jusque-là, je n’ai rien à dire. Ainsi, elle vous a confié l’archivage complet de l’année précédente. Travail que vous avez étonnamment bien accompli en cinq jours! Françoise est venue vérifier votre tâche et lorsqu’elle a tourné le dos, elle a entendu un cri et le bruit d’une chute, suivi par un énorme fracas ! Vous avez bousillé en une fraction de seconde une semaine entière de travail ! Avez-vous quelque chose à dire, Virginie, pour votre défense ?

– Eh bien, oui, ce n’est pas de ma faute, ce sont mes talons. J’ai glissé en effectuant un petit pas de danse, mon talon est parti tout seul, je suis tombée sur le dos et mes pieds ont bousculé les étagères et…

– Et les étagères ont joué aux dominos ! Tous les cartons d’archives se sont éventrés au milieu de la salle ! Mais enfin, Virginie ! On n’a pas idée non plus de venir faire de l’archivage avec des échasses en guise de talon ! Ne me dites surtout pas que c’est pour mieux atteindre les étagères du haut, il y a une échelle pour ça !

– Oui, je suis désolée, Monsieur, je vous l’ai déjà dit lorsque c’est arrivé. Je me suis ensuite absentée une petite heure pour aller faire soigner ma cheville puis je suis revenue. J’ai travaillé tout le week-end pour réparer ma bêtise. Je ne pouvais pas faire mieux Monsieur !

Vitrine insolite

– C’est cela oui ! Vous auriez notamment pu éviter de tomber et de tout emporter au passage! De ce fait, vous auriez pu, aussi, éviter de vous endormir dimanche soir dans le hamac qui se trouve dans la vitrine de l’agence ! C’est une cliente qui vous a réveillée lundi matin.

– Oui, je suis confuse, Monsieur, mais j’étais épuisée après avoir tout terminé, je n’avais pas vu l’heure et il n’y avait plus de bus pour rentrer chez moi. Je n’avais pas l’argent pour un taxi alors…

– Alors vous vous êtes installée tranquillement comme si vous aviez payé un forfait all inclusive à l’agence ! Bon, passons. La semaine suivante, je vous ai affectée au service des trains. Vous avez rivalisé d’ingéniosité pour être encore plus stupide que nos clients les plus stupides !

Gaffes et gags ; les tribulations de Virginie

– C’est un peu fort, Monsieur ! Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, je…

– Je vous donne quelques exemples. Voilà, c’est écrit ici sur mes notes, je lis : un client lui demande quel est le plus rapide entre la première classe et la deuxième, Virginie a répondu tout à fait sérieusement : “Étant donné que les wagons premières classes se trouvent à l’avant, je vous conseille la première classe, vous arriverez en gare un peu avant les deuxièmes classes”.

Et moi, je vous donne le premier prix ou le deuxième ? Non ! ne répondez pas, je redoute le pire !  Attendez ma petite, ce n’est pas fini. Un client vous achète un Genève – Bâle et vous demande s’il a le temps de descendre en gare de Neuchâtel pour aller acheter des cigarettes au kiosque. Vous souvenez vous de ce que vous avez répondu ?

– Oui, je m’en souviens… je lui ai dit que je pouvais aussi lui réserver un transfert pour aller visiter la fabrique de tabac. Le client m’a demandé si le train l’attendrait et je lui ai répondu :  “à votre avis ?” C’était de l’humour, Monsieur !

– C’est cela, ouiiii ! Je ne suis pas persuadé qu’un client de ce niveau percute sur votre humour quelque peu décalé. Vous n’avez d’ailleurs pas à faire de l’humour avec vos clients, Virginie !

Du grand art !

Après cette semaine désopilante, on vous a placée au comptoir voyage. Mais, là aussi, c’était pas mal, je dois dire.

Par exemple, lorsqu’un client vous demande une vue mer dans un hôtel en plein centre d’Athènes, ne lui dites pas de ne pas oublier de prendre une paire jumelle avec lui ! Montrez-lui une carte de la ville et précisez-lui qu’Athènes, c’est plus d’un demi-million d’habitants sur une superficie très étendue. Ne prenez pas les gens pour des cons, même s’ils le sont !

J’ai gardé la meilleure anecdote pour la fin. Il y a eu ce client qui n’avait jamais voyagé de sa vie et était très anxieux à l’idée de prendre l’avion. Vous lui avez suggéré de prendre un chewing-gum avec lui pour ne pas avoir mal aux oreilles. Le client vous demande, naïvement, s’il doit mettre le chewing-gum dans ses oreilles. De ce fait, vous lui avez répondu le plus sérieusement du monde que oui bien sûr, mais qu’il fallait bien le mouiller avant de l’introduire pour que ça colmate bien, mais qu’il devait faire attention de ne pas trop l’enfoncer, sinon avec le vide d’air, il n’arriverait pas à le récupérer !

Un clown d’Or pour Virginie

Bravo ! Votre réponse, j’avoue, mérite un clown d’Or, mais bon… comme on n’est pas au Cirque ici. Je me demande ce que je vais bien pouvoir faire de vous, Mademoiselle.

Francis Martin fit une pause, m’observant avec un mélange de perplexité et de curiosité. Il reprit :

– Cependant, vous êtes pourtant un bon élément si on fait abstraction de votre étourderie, votre humour complètement disjoncté et de votre apparence quelque peu bohème, excentrique, enfin pas trop classique. Avez-vous des suggestions à me faire ?

– Non, Monsieur ! Je suis désolée que mon look et mon humour ne vous plaisent pas. Il me sera très difficile de changer. Néanmoins, j’adore mon métier, mais si je dois changer ma façon d’être pour le faire, alors soit j’ai choisi le mauvais métier, soit la mauvaise agence. Dites-moi vite ce que vous comptez faire de moi. C’est bientôt Noël et j’aimerais autant savoir si je dois aller m’inscrire au chômage en guise de cadeau !

***

À demain, pour la suite des aventures de Virginie en Laponie

Stéphanie

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